Le fabuleux destin de la nourriture oubliée

Un emballage moins joli ou une péremption pas assez lointaine : des critères qui font des produits les candidats idéaux pour glisser des rayons des commerces aux poubelles. Un phénomène qui s’accentue à Noël.

Qui seront le plus bourrés pendant les fêtes de cette fin d’année ? Probablement les bennes à ordures ! L’effet “nouvel an” ou “lendemain de fêtes” est issu du grand volume de déchets jetés par les ménages, avec de plus en plus de produits non-périmés dans les lots. Les commerces et les grandes surfaces ne se portent pas mieux : une étude britannique [1] montre que près d’un 20% des denrées achetées par la grande distribution finissent à la poubelle alors qu’elles sont encore comestibles. Les raisons sont variées : une date de péremption passée, ou juste trop proche pour attirer le consommateur, un œuf cassé sur une douzaine, ou un emballage légèrement abimé, tous eux  à l’origine de déclassement des produits des rayons. À Noël, ce gaspillage alimentaire monte de 80% [2]. « On ne jette pas forcément plus pendant les fêtes, mais la consommation monte » déclare l’employé d’une boulangerie dans le centre-ville de Montpellier. « Si un jour normal, on a 30 ou 40 kg de produits à jeter, les jours de Noël cela peut doubler ».

Le devenir des produits “déclassés” demeure très divers. Les grandes surfaces en font don d’une partie. Ainsi, la Banque Alimentaire de l’Hérault, suite à un partenariat avec une dizaine de grandes surfaces du département, récupère ces dons (composés principalement de légumes, viandes et laitages) et les distribue à 110 associations. D’après Alain Béréziat, son responsable, il existe bien un effet de “lendemain de fêtes” qualitatif mais qui ne concerne pas le volume pour autant « après les fêtes et le nouvel an, nous récupérons une proportion de viande plus importante, de la même façon qu’en septembre il y a plus de fruits et de légumes » . Le volume n’augmenterait donc pas à cette période de l’année ? « Non. Le volume de dons répond aux choix des hypermarchés, qui ont d’ avantages fiscaux, mais ils nous envoient dans aucun cas des produits dont la Date Limite de Consommation (DLC) est déjà dépassée » explique M. Bereziat « Toutefois nous pouvons recevoir des produits de Date Limite d’Utilisation Optimale (DLUO) dépassée ».

Pour la Croix Rouge, l’un des bénéficiaires du programme de la Banque Alimentaire, l’arrivée des produits de fêtes est l’occasion pour préparer des repas alors que le reste de l’année l’activité se base sur l’organisation de petits-déjeuners et la distribution directe aux personnes. Or, il y a aussi des pertes «  Des fois, nous faisons le tri de ce qui nous arrive de la Banque Alimentaire. Il y a des produits avec DLUO qui sont peut-être valables au niveau sanitaire, mais qui ont perdu un peu le goût » déclare un des bénévoles. Du coté d’une association nationale de “récup” et alternatives, les craintes au niveau sanitaire ne sont pas du même ordre : « Un yaourt dont la DLC a dépassé d’une ou deux semaines est parfaitement sûr à manger. C’est pareil pour plein d’autres produits. C’est scandaleux les quantités de nourriture jetée, que l’on peut toujours consommer. Encore pire pendant les fêtes » soutient un militant qui essaie de faire de la récupération d’aliments son mode de vie ainsi qu’ un cri contre le consumérisme. Il conteste que « certains commerces interdisent l’accès à ce qu’ils vont jeter ».

En effet, il n’est pas vraiment facile de suivre la piste de ces produits “déclassés”. Si les petits commerces à Montpellier, sortent les déchets sur la voie publique et restent accessibles, ce n’est pas le cas de grandes surfaces à l’extérieur de la ville comme Intermarché doté de locaux à bennes, d’accès restreint. Du coté du supermarché Monoprix, au centre ville, Il est strictement interdit de faire don de cette nourriture. Hors de question de faire du libre accès : « Les bennes sont à l’intérieur et nous devons les sortir que lors de l’arrivée du camion ». Comme quoi, dès que les mots nourriture, hygiène, gaspillage et fêtes sont sur la table, l’unanimité n’est pas au menu.

[1] Waste and Resources Action Program (WRAP)

[2] Observatoire Bruxellois de la Consommation Durable

 

Article originairement publié sur Haut Courant le 31 Décembre 2009