Internet: Les données personnelles au centre de toutes les controverses

Internet: Les données personnelles au centre de toutes les controverses

Un algorithme qui révèle au monde votre romancier préféré, un code qui transmet la taille et la couleur de votre dernière paire de chaussures. Des informations apparemment anodines, mais qui prennent de la valeur lorsqu’elles sont croisées et géo localisées. Selon le groupe Boston Consulting, la valeur de nos données et gigantesque, l’équivalent à 1000 milliard d’euros en Europe. Le marché de l’exploitation de ces données reste en revanche localisé majoritairement de l’autre côté de l’Atlantique, dominée par Google et Facebook. Une situation à laquelle le ministère du Redressement Productif français compte s’attaquer. Lors du séminaire gouvernemental sur le numérique en février 2013, Arnaud Montebourg manifestait le souhait de défendre la souveraineté économique et numérique du pays : « L’idée n’est pas d’interdire l’exploitation des données personnelles, mais de faire en sorte qu’elle ait lieu sur le territoire où habitent les personnes dont les données sont exploitées ». La tâche ne s’avère pas simple car, si bien des discussions commencent au niveau européen, pour l’instant il n’y a aucune règle établie.

Des bouts de code…

Mais comment sont collectées ces informations ? Lorsque vous naviguez sur Internet, vous laissez des traces numériques de votre activité : temps passé sur un site, nombre de fois que vous avez regardé un produit sur un site de vente en ligne… Ces sites marchands, en tant que clients d’agences de e-marketing, enverront à ces dernières les traces numériques de vos errances sur leurs pages. Les informations croisées permettront à l’agence d’établir votre profil de consommateur et de vous envoyer à leur tour des bannières publicitaires adaptées à vos goûts.

« Notre métier c’est de livrer la bonne publicité, au bon utilisateur au bon moment » explique Julien Simon- vice-président de Criteo à France Inter « Si vous êtes amateur de jeux vidéo, et que vous passez beaucoup temps sur des sites e-commerce pour comparer les prix et les fonctionnalités, on va détecter ce comportement et il est fort probable que lors de votre sessions de navigation vous allez trouver des produits que vous aviez déjà consulté au préalable ». Criteo, une société 100 % française, montre bien que le marché n’est pas uniquement nord-américain. Elle a été classée start-up européenne qui a grandi le plus vite, passant de 20 à 700 employés, avec une croissance de 200.000 % depuis sa création en 2007. Ses data-centers livrent aujourd’hui plus d’un milliard de bannières publicitaires par jour dans 35 pays différents. La crise n’a fait qu’augmenter leur succès « On sert de la publicité la plus pertinente possible : maintenant, les entreprises cherchent justement à avoir un modèle publicitaire à la performance » précise Pascal Gautier, directeur général de la compagnie.

L’objectif ultime ? Une publicité, un click, une vente.

Des applications variées

Toutes les applications des données récoltées ne vont pas du côté de la publicité. Des chercheurs comme Mathieu Latapy, directeur du département Systèmes Complexes du CNRS vont analyser les dynamiques de diffusion de contenu dans les réseaux du net, la structure des relations, la densité des nœuds « On analyse le côté relationnel et non pas les chiffres personnels » explique Latapy « Par exemple, on peut avoir une idée du niveau de dynamisme d’un réseau scientifique, et même connaître les thématiques émergentes en regardant les mots clés des articles publiés, les cosignataires… » . Pour, Sihem Amer Yahia, Directrice de Recherche CNRS au laboratoire d’Informatique de Grenoble, les exploitations peuvent aller de la mise en réseau de personnes pour le don du sang aux applications transport « Une collaboration s’est mise en place entre la ville de Grénoble, l’INRIA et le CNRS : on croisera des informations de disponibilité des transports avec les infos des différents déplacements afin de proposer par exemple un panorama de la ville en 3 jours »

Données personnelles ou anonymes ?

Tout internaute se pose un jour ou l’autre des questions sur le sort de ses propres données personnelles. Pour Pascal Gautier de Criteo, nul besoin de s’inquiéter « On prend les données anonymes et on ressert la publicité la plus pertinente possible » rassure-t-il « On conserve les données sur un lapse de temps très courts, car passés 10 jours elles n’ont pratiquement aucun intérêt ».Pour l’agence, la donnée aurait ainsi une valeur d’usage uniquement instantané.

La notion de péremption intrinsèque des données ne semble pas convaincre tous les internautes. En Février 2013, un groupe de 32 personnes  (des économistes, des chefs d’entreprise, des réalisateurs, des artistes) signe un manifeste publié par le JDD qui plaide pour que les données numériques soient « sécurisées » et « anonymisées ». Cet « appel des 32 » revendique la possibilité de se déclarer « objecteurs de conscience » et d’exiger une garantie de vie privée« . Ils célèbrent l’initiative du Parlement Européen et du gouvernement français de se saisir de la question de la sécurisation, et posent un impératif : le droit à l’oubli.

La publicité, garante d’un Internet libre?

Xavier Niel, PDG de Free, avait fait sonner toutes les alarmes en janvier 2013, lorsqu’il avait annoncé le blocage par défaut des publicités pour les utilisateurs de la Freebox révolution.

Vu par certains analystes, comme CM-CIC Securities comme une stratégie visant à faire payer les fournisseurs de contenu comme Google pour qu’ils contribuent au financement des réseaux qu’ils utilisent, l’annonce a vite attiré l’attention du Ministre Déléguée à l’Économie Numérique. Fleur Pellerin avait immédiatement ordonné à Free de faire marche arrière.

La démarche de Niel avait également suscité des critiques chez les associations de défense des libertés sur Internet. Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net se disait choqué par cette initiative. Dans des déclarations à RMC il montrait du doigt une  « violation grave du principe fondamental de la neutralité du net, dans lequel aucun opérateur ne doit dire ce que vous pouvez faire ou publier sur Internet ». Un argument qui ne devrait pas déplaire à Pascal Gautier, pour qui l’existence des publicités relève d’un pacte tacite entre le média et le consommateur : « un énorme volume de contenu est disponible sur Internet de manière complètement gratuite parce qu’il est payé de manière directe ou indirecte par le consommateur ».